Partager le jeu vidéo : festivals, expositions, game jams
Compte-rendu et synthèse des entretiens
Nous pouvons distinguer trois types d’événements : les festivals et salons du jeu vidéo, plus ou moins ouverts au public et également lieu de rencontre des professionnnels entre eux ; les game jams , concours de création de jeux, lieux de rencontre de la scène alternative avec l’industrie plus mainstream ; les expositions de jeu vidéo, lieu de rencontre du monde de la recherche, des industriels, du grand public et des institutions culturelles.
Les festivals et les salons du jeu vidéo
Les festivals grand public, de simples salons ?
La Paris Games Week est l’événement grand public majeur du jeu vidéo en France. Son organisation et le propos qu’elle porte sont très critiqués par les acteurs que nous avons rencontrés. Ils regrettent un festival qui ne serait qu’un “salon”, un festival organisé par les RP (relations presse), comme le dit Antoine Herren, sans réflexion scénographique ni volonté de faciliter les rencontres entre joueurs et créateurs. Une différence est ainsi faite entre les “salons” et les “festivals”, les premiers ayant juste un but promotionnel et commercial.
Une “foire”, un “mega-event” pour Laurent Checola, un “événement industriel” pour Mathieu Triclot, un “déchaînement de bruit et de fureur” pour Erwan Higuinen, les acteurs interrogés sont assez durs envers les événements du type Paris Games Week. Mais en raison de leur importance, ce sont ces événements qui sont couverts par les médias en priorité.
Globalement, la couverture sur les salons, elle est totale. Evry Game City, Paris Games Week, on y a une forte présence des journalistes, infiniment plus que sur les festivals, ça c’est sur.
Après, le plus gros problème, c’est la forme que prend l’événément qui est une espèce de show à l’américaine, et quand on va à la PGW, personnellement je déteste, à cause du brouhaha ambiant, c’est pas une ambiance qui est saine, humainement parlant. Essayer de rester trois jours d'affiliée là bas et vous verrez !
Néanmoins, malgré les critiques fortes, l’importance de la Paris Games Week est reconnue par les créateurs de jeux vidéo comme le seul endroit majeur en France où l’on peut rencontrer un public “mainstream” du jeu vidéo et échanger avec lui - même si rien n’est fait pour faciliter la tâche.
Nous personnellement on est toujours présents sur les stands en tant qu’équipe, à la PGW on faisait un roulement et il y avait toujours 2-3 personnes du studios qui étaient sur le stand pour pouvoir interagir avec les joueurs et récupérer des retours. Parce que sinon ça ne sert pas à grand chose.
De plus, être présent sur les salons qui s’adressent à un public visé par le jeu que l’on crée est indispensable. Pour rencontrer les joueurs, mais surtout pour envoyer un signal fort en direction des éditeurs et de la presse : celui que l’on est prêt à s’investir en temps, en argent et en communication pour défendre un jeu auquel on croit.
Tu envoies le message suivant à la presse et à tout le monde, et à l’Appstore, qui te regarde dans le lointain : tu dis, voilà, moi je suis prêt à dépenser des milliers d’euros en com. Et la presse spécialisée, la presse en général, [et les éditeurs] c’est quelque chose qu’ils entendent bien, ça leur fait plaisir…
Les événements professionnels
Des événements professionnels sont également organisés, souvent en parallèle des salons grand public, par exemple la Game Connection au moment de la Paris Games Week. Leur but est ménager des espaces de rencontres entre développeurs et éditeurs afin de pouvoir passer des contrats ; mais aussi de proposer des conférences sur les tendances du secteur.
Il y a donc ces deux aspects là, un côté développement d’affaires et un côté créatif très fort avec vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens du monde entier qui se réunissent là, qui discutent et qui font avancer les choses.
Ces événements professionnels peuvent être spécialisés dans certains types de jeux vidéo, voire se teinter d’un engagement politique particulier. C’est le cas des festival Games For Change, que participe à organiser Simon Bachelier, dont le but est là encore de partager les découvertes et les bonnes pratiques, ainsi que de faire se rencontrer les acteurs du milieu. Mais en raison de la particularité de l’événement, ces acteurs sont plus variés : créateurs, institutions, activistes, et parfois également joueurs.
Les événements du jeu vidéo indépendant
En France on a quand même toujours eu une scène pour le jeu indépendant. C’est plutôt au niveau des évènements que ça pèche.
Alors que la Paris Games Week est l’un des plus gros événements européens du jeu vidéo mainstream, la France manque d’espaces d’expositions médiatiques et publiques pour le jeu vidéo indépendant. Les festivals de jeu vidéo indépendant principaux sont à Berlin, avec l’Amaze, et à Londres, avec le Rezzed. Les événements français sont plus petits, et n’arrivent souvent pas à communiquer et à prendre de l’importance. Pourtant, pour la scène indépendante, ces festivals sont tout aussi importants que les festivals grand public pour les jeux des grands éditeurs.
J’étais à Rezzed, il y a 3/4 ans. Mais c’était un bon investissement. Là encore, on voit le côté malin de ces gens là. Ils t’invitent, ils te sauvent la vie, ils te rendent riche, et trois ans tu reviens et tu leur prends les stands à 6000€, et on est hyper-heureux.
Néanmoins, même dans les festivals plus importants de l’étranger, la fréquentation reste assez confidentielle, et la couverture médiatique est quasiment nulle. La presse spécialisée française, surtout, reste loin de ces événements.
Là par exemple, cette année, a Amaze, j’ai pas réussi a rencontrer des gens qui n'étaient pas la parce qu’un pote présentait un jeu ou parce qu’ils étaient eux même investis dans le festival, ou qu’ils étaient en école de jeu vidéo. On reste quand même dans l’entre-soi.
Les événements du jeu vidéo alternatif
Les événements du jeu vidéo alternatif sont à la fois très nombreux, très divers, et très confidentiels. Ils peuvent ressembler à des festivals de jeux vidéo, voire être des espaces au sein de festivals de jeu vidéo indépendant, par exemple au sein d’Amaze ou de Rezzed. Ils peuvent se rapprocher de game jams ou être associés à des lan parties ou des événements d’e-sport. Ils peuvent enfin ressembler à des installations d’art contemporain.
Il y a plein de trucs : plutôt des rassemblements qui ne vont pas être des festivals, mais des game jams un peu barrées ou de petites conférences.
Bien que confidentielle en nombre, la fréquentation de ces événements est très variée, et laisse s’exprimer des communautés de pratiques invisibles dans les autres milieux du jeu vidéo : la communauté queer est très développée, les collectifs proche de l’art contemporain et de l’art numérique également, comme One Life Remains.
Les sciences sociales trouvent dans ces événements les rares lieux de vulgarisation de la recherche scientifique sur le jeu vidéo en France : au Stunfest à Rennes par exemple. C’était à l’origine un événement d’e-sport qui s’est peu à peu développé. Les chercheurs en sciences sociales s’y rendent, ainsi que certains développeurs de jeux. Le Gamelier est également un collectif qui organise des événements autour de la recherche en jeu vidéo.
Là où je vais régulièrement comme type de festival, c’est le Stunfest, mais qui est extrêmement particulier. Et donc là ces questions [de sciences sociales] sont présentes et présentées, mais là on est typiquement dans une certaine culture savante des jeux vidéo. Et donc ces questions sont soulevées.
Ces événements alternatifs sont des lieux d’expression pour des jeux vidéo spécifiques, des installations vidéoludiques, qui ne trouveraient pas de lieu d’exposition et d’utilisation ailleurs. L’enjeu y est de renouveler l’ensemble du médium, avec des modes d’interactions innovants. Ces événements alternatifs, bien que d’ampleur limitée, sont également un moyen de toucher un public complètement externe au jeu vidéo, qui ne serait pas allé vers le médium autrement. “La manette fait peur” dit Antoine Herren, et pour un certain public, jouer à ces jeux vidéo différents permet de les amener à découvrir l’univers du jeu vidéo.
Sur d’autres événements plus publics, on a souvent des gens qui pratiquent et parfois des gens qui ne sont pas du tout dans la pratique du jeu vidéo, qui peuvent être des familles, du tout public… c’est difficile de définir, qui se retrouvent dans ces expériences là et qui vont se dire “Ah, c’est un peu ça aussi le jeu vidéo”.
Les lieux d’exposition et de rencontre de ces événements sont souvent également alternatifs : les bibliothèques d’Île-de-France pour le collectif Alinéaire et son jeu sur les migrants, les bars LGBT pour le groupe de jeu queer auquel participe Marion Coville. Ces lieux alternatifs peuvent être des choix, mais aussi des contraintes, en raison de la difficulté à convaincre les collectivités de soutenir de tels projets.
Le problème c’est de trouver une alchimie entre les administrations locales pour trouver un lieu où héberger l’événement, des financements, parce que ce genre de festivals c’est pas gratuit et c’est difficile à construire, et trouver des personnes qui sont prêtes à s’investir
Les Game Jams
Les game jams sont des concours-marathon de création de jeux vidéo. En un week-end, les participants d’une game jam doivent inventer un concept, game designer un jeu et le réaliser ; le tout souvent sous contrainte thématique ou technique. Les jams sont pour la plupart organisées par des collectifs de développeurs indépendants, comme le Gamelier. Elles sont très fréquentes à Paris, avec un rythme au moins mensuel. Les plus connues sont la Global Game Jam, annuelle, le Ludum Dare, trimestriel, et le JamShacker, mensuel.
Il y a deux ans on a monté une asso qui s’appelle Jam Shacker, où on organise des jam de manière mensuelle, dans cette idée de créer de l’émulsion, de permettre aux gens de se rencontrer, de stimuler la création de jeu.
L’objectif de ces événements est de démocratiser les processus de création. Les game jams sont ouvertes à tous, et permettent aux personnes qui ne sont pas programmeuses de pouvoir créer un jeu, dans des équipes qui usuellement se forment le jour de l’événement. L’enjeu est d’ouvrir les créateurs de jeux à des créations alternatives et nouvelles, et de stimuler la scène indépendante parisienne. Le thème du JamShacker d’avril 2016 était ainsi la diversité. Néanmoins, dans les faits, les games jams sont principalement des étudiants en jeu vidéo, qui viennent s’initier à la création de jeux et rencontrer les autres acteurs du secteur du jeu indépendant.
D’un point de vue pratique, à Paris dans les jam qu’on organise il y a plus d’étudiants ou d’amateurs que de pros mais on a généralement 5-6 pros sur 50 participants qui vont venir: des développeurs d’Ubisoft, des designers de petits studios.
La fréquentation des game jams augmente progressivement depuis une dizaine d’années. Les Ludum Dare rassemblent près d’un millier de participants. Cette progression de la fréquentation est en lien avec le développement de la scène indépendante. Scène indépendante et game jams sont en effet liées à la notion de créativité et de liberté créative. Des organismes demandent à devenir partenaires des organisateurs des game jams, comme la Fondation Mozilla et le JamShacker. Les game jams se multiplient et s’organisent via la plateforme itch.io.
Il y a le développement d’une scène indépendante plus forte et plus présente, il y a souvent cette association entre indépendant et jam, même si c’est pas forcément vrai, dans l’esprit des gens c’est souvent lié.
Néanmoins, cette progression de la fréquentation ne se fait que par le bouche-à-oreille. La communication autour de ces événements est identifiée par les organisateurs eux-mêmes des game jams comme leur point faible. S’ils revendiquent leur rôle de passeur, de mise en contact des personnes entre elles, ils regrettent ne pas pouvoir capitaliser sur le game jams et mettre en avant les jeux produits durant ces événements, et comptent sur leurs partenaires pour leur donner une exposition médiatique qu’ils n’arrivent pas à avoir au-delà du cercle des développeurs indépendants parisiens.
C’est aussi parce qu’on n’a personne en infocom pour nous aider a massifier le truc.
Les expositions sur le jeu vidéo et la question de la médiation culturelle
Nouvel objet de patrimonialisation, la question de la mise en scène du jeu vidéo dans les expositions suscite beaucoup de tensions entre les acteurs que nous avons interrogés, formés à la scénographie, et les institutions. En jeu, il y a deux approches différentes du jeu vidéo, et de sa transmission au public.
Des acteurs comme Marion Coville ou Mathieu Triclot identifient trois écueils dans lesquels les expositions sur le jeu vidéo sont traditionnellement tombées. Le premier écueil est celui de l’exposition patrimoniale, historique, qui reprend usuellement les mêmes étapes de l’histoire du jeu vidéo et construit une vision de celle-ci assez uniforme et univoque, et jouant sur la nostalgie, ne s’adresse qu’aux seuls joueurs, et exclue les autres.
Ça participait à construire une histoire extrêmement uniforme du jeu vidéo. [...] Et ça passe sous silence énormément de pratiques, énormément de figures. Ça construit un histoire extrêmement masculine, extrêmement blanche. Avec une identité très homogène. Moi c’était ça qui me posait problème vraiment.
Le second est celui de l’exposition de légitimation culturelle et artistique du jeu vidéo. Elles visent à présenter le jeu vidéo comme un art majeur, au risque de le couper de ses racines d’art mineur tout en ratant la spécificité du médium jeu vidéo. La beauté graphique et sonore des jeux va être mise en avant, en ratant la spécificité de l’expérience qu’ils génèrent.
Tu as même des jeux où c’est un espèce de bingo : à partir du moment où on parle d’art et de jeu vidéo, tu sais qu’on va te citer Flower, Ico, Shadow of the Colossus.
Pourquoi c’est Journey qui rentre dans toutes les expos et pas Fifa ? Qu’est-ce qu’on fait ? Sachant que le contrat quand tu rentres dans une expo de jeu vidéo standard, c’est “abandonne tes pratiques populaires et viens sanctifier les bonnes pratiques”.
Le troisième écueil réside dans l’exposition qui tient à mettre en scène le corps du visiteurs, parce que le jeu vidéo réside dans l’interaction. Mais ce parti-pris peut mettre mal à l’aise des visiteurs qui se voient transformés en une partie du spectacle.
L’enjeu pour une exposition sur le jeu vidéo est donc de savoir faire droit à l’interaction comme spécificité du jeu vidéo, en imaginant une médiation inédite, qui sache inclure l’ensemble des publics, néophytes comme initiés. Des structures comme la Gaîté Lyrique se sont engagées depuis longtemps pour ouvrir le jeu vidéo à des publics qui ne jouent pas, telles que les personnes âgées, avec les game older.
Je pense qu’il y a vraiment un gros boulot à faire pour penser l’inclusion de tous les publics. C’est ce que je disais tout à l’heure par rapport au manque de médiation.
Un autre enjeu pour les structures voulant exposer le jeu vidéo est la question de sa conservation, et du choix des éléments à conserver. Doit-on préserver le code informatique, la matériel physique, l’historique des interactions des joueurs au sein du jeu, dans la mesure où le jeu vidéo est un médium d’interaction ? Le MoMA, qui a commencé à faire entrer le jeu vidéo dans ses collections en 2012, a choisi les trois solutions : conservation physique du code et du matériel, et travail de documentation ethnographique.
Eux [le MoMA] ils font l’acquisition du code source des jeux, plus l’acquisition d’un support matériel, et pour certains jeux comme Eve Online ou comme les Sims, par surtout pour Eve Online, ils ont fait appel aux joueurs et aux joueuses pour filmer les parties de jeu, pour documenter l’univers. Ils travaillent aussi avec les concepteurs du jeu pour récolter un maximum de données, pour recréer un univers de jeu.
La France reste en retard sur la question de la patrimonialisation et de la conservation du jeu vidéo. Les problématiques de muséologie sur la question n’ont toujours pas atteint les institutions culturelles. Les initiatives de conservation du patrimoine vidéoludique sont aujourd’hui en France principalement privées, comme celle de Bertrand Brocard, qui a fondé un “Conservatoire national du jeu vidéo” pour engager ce travail de patrimonialisation et faire porter ce qu’il considère comme une cause urgente, alors que les pionniers du jeu vidéo commence à vieillir et disparaîtront peu à peu.
Donc il y a tout un travail à faire comme ça, et je vois que ça commence à fonctionner, parce que quand j'en parle avec des gens, ils me disent « bah moi j'ai quand même un peu d'archives, mais je ne sais pas quoi en faire » ou finalement « bah je les ai jetées ».
La nouvelle règle du jeu
Le réseau d’événements liés aux jeux vidéo en France est très déséquilibré, entre la Paris Games Week d’un côté et une multitude de petits festivals peu structurée de l’autre.
Les grands événements du jeu vidéo en France sont faits par et pour les grands éditeurs. Les développeurs indépendants peinent à y trouver leur place.
La scène indépendante souffre du manque d’événements dédiés en France et doit aller à l’étranger pour s’exposer.
Les game jams sont un lieu de sociabilisation important pour les développeurs indépendants, et au-delà.
Les expositions sur le jeu vidéo cherchent encore la médiation optimale pour traiter au mieux du jeu vidéo sans laisser aucun public sur le côté.