Commerce multi-échelles autour du port de La Rochelle au XVIIIe siècle

Une étude de cas du programme de recherche interdisciplinaire PORTIC

Introduction

La France du dix-huitième siècle se caractérise par le fort dynamisme des ports et des hinterlands de la façade atlantique, stimulés par le commerce avec les Antilles et une demande européenne en biens de consommation en hausse. La guerre maritime qui commence en 1793 et qui se poursuit pendant plus de vingt ans, entraînant la perte définitive de Saint-Domingue en 1804 et de l’île de France (île Maurice) en 1815, sonne le glas de cette dynamique et déplace le centre de l’économie française vers l’intérieur.

L’étude de cas présentée ici s’intéresse à la navigation et au commerce maritime des côtes poitevines et charentaises à la veille de la Révolution. Cela correspond à la direction des fermes de la Rochelle et à la façade maritime des provinces du Poitou, de l’Aunis, de la Saintonge et de l’Angoumois (région « PASA »). Cette aire possède un dense maillage portuaire, avec une quarantaine de ports en activité. Certains ne font que du cabotage micro-local, d’autres intègrent petit et grand cabotage, d’autres enfin s’adonnent également à une navigation de long-cours. Cette région se prête donc particulièrement à une étude portant sur l’articulation entre les différentes échelles du commerce maritime à l’aube de la Révolution.

Nous reconstituons l’histoire maritime et commerciale de la région PASA à partir de deux sources historiques. D’une part, nous disposons de traces administratives de la navigation maritime grâce aux redevances qui pèsent sur celle-ci sous l’Ancien Régime. Les registres des congés répertorient les navires à leur départ d’un port et le montant dû, qui varie le plus souvent selon leur tonnage et leur destination. Ces registres, rédigés par les greffiers de l’amirauté locale, ont été numérisés et structurés dans une base de données appelée Navigocorpus. Elle compte entre autres plus de 32 000 congés pour l’année 1787 pour l’ensemble des ports français, et quelque 6 900 congés pour 1789 relatifs aux côtes poitevines et charentaises.

Les registres des congés nous permettent de repérer les dates de départ des bâtiments, ainsi que diverses informations relatives à l’objet de leur voyage, leur tonnage, leur capitaine, etc. Ces données ne sont cependant pas dénuées d’incertitude : comme nous le verrons, le tonnage des navires est parfois surestimé dans certains ports. Aussi, dans le cadre de la présente étude, nous avons pris en compte l’itinéraire déclaré par les capitaines de navires au moment du départ, tout en étant conscients que la déclaration ne correspond pas nécessairement au voyage effectif. Les congés permettent toutefois une bonne mesure des trafics de la région de La Rochelle, y compris à toute petite échelle, tout en demandant une attention fine à la dimension d’incertitude inhérente à la source mobilisée.

D’autre part, nous disposons de traces administratives relatives au commerce de la région PASA. La base de données Toflit18 se fonde sur la numérisation des documents du Bureau de la balance du commerce de 1716 à 1821. Ces documents ont été produits grâce aux services des Fermes : chaque bureau des Fermes enregistrait localement les états de sortie et d’entrée des marchandises entre la France et l’étranger. Plus de 550 000 flux de sortie / entrée ont été documentés dans la base de données Toflit18. La direction des fermes de La Rochelle correspondait à la façade maritime de la région PASA.

Grâce aux données de la base Toflit18, nous sommes en mesure de lister les exports et imports entre les sept différents bureaux de ferme de la région PASA et les partenaires étrangers du royaume de France. Les informations que l’on peut extraire de ces flux sont, entre autres, le nom du produit échangé, la quantité, la valeur, le partenaire commercial, et l’entité administrative ayant enregistré le flux au niveau local. En 1789, elles précisent en outre, sauf pour le commerce de réexportation des denrées coloniales, l’origine du produit commercialisé (ville ou province française, ou État étranger). Elles fournissent donc des informations complémentaires à celles données par les sources relatives à la navigation.

Le croisement entre congés de navigation et données du Bureau de la balance du commerce rendu possible par les bases de données Toflit18 et Navigocorpus nous permet de saisir le commerce local, national et international, de préciser les flux et leur valeur pour ce qui est du commerce international, et d’explorer les relations et l’articulation entre les différents trafics de cette région.

La présente étude de cas décrit en trois temps l’histoire de la région PASA à l’aube de la Révolution française. D’abord, nous constatons la relative perte d’importance et de diversité commerciale de la région à la suite de la perte du Canada par le royaume de France durant la guerre de Sept Ans. Nous proposons ensuite une analyse détaillée de la restructuration de la région en relation avec cet événement, selon des filières spécialisées qui associent des ports particuliers avec le commerce de produits spécifiques. Nous démontrons enfin que, bien que dominant dans sa région, le port de la Rochelle ne structure pas en 1789 la région au profit d’un réseau d’échange plus diversifié.